MISE À JOUR DU RAPPORT SPÉCIAL DU SEAE: BREVE EVALUATION DES RECITS ET ELEMENTS DE DESINFORMATION CIRCULANT A PROPOS DE LA PANDEMIE DE COVID-19 / CORONAVIRUS (MISE A JOUR 2 - 22 AVRIL)

Résumé
Comme le soulignaient les rapports précédents, la désinformation, les mythes et la mésinformation continuent de proliférer dans le monde entier, avec des conséquences potentiellement néfastes pour la sécurité publique, la santé et l’efficacité de la communication de crise. Dans ce contexte, il est important de distinguer les formes très différentes que peuvent revêtir la mésinformation et la désinformation, ainsi que les autres méthodes de manipulation de l’information en général. Bien que toutes ne le soient pas, certaines de ces données en circulation sont le fruit d’actes intentionnels et coordonnés, souvent orchestrés par un État ou par des acteurs cautionnés par un État. En voici quelques exemples:
- Des campagnes coordonnées, notamment via des médias sociaux et des médias étrangers contrôlés par des États, ont été menées au sein des États membres de l’UE et des régions voisines, afin de promouvoir de fausses informations sanitaires et des éléments de désinformation sur l’UE et ses partenaires.
- Les rapports indiquent que des efforts continus sont déployés pour se dédouaner de toute responsabilité dans la propagation de la pandémie, adoptant à ces fins des tactiques tant ouvertes que déguisées.
- Les analyses de la task force Stratcom du SEAE et de groupes externes montrent qu’une désinformation extrêmement préjudiciable sur la COVID-19 / le coronavirus devient particulièrement virale sur de petits marchés médiatiques à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE, où les entreprises technologiques sont moins incitées à prendre des contre-mesures adéquates.
En détail : désinformation, propagande et autres activités liées à la COVID-19
(2 – 22 avril)
Comme au cours de la période couverte par le précédent rapport, nous avons assisté à la prolifération de différentes mésinformations, incidents de désinformation et autres formes de manipulation et de distorsion. Malgré leur impact potentiellement grave sur la santé publique, les sources officielles et soutenues par les gouvernements de différents États, notamment la Russie et, dans une moindre mesure, la Chine, ont continué à cibler largement le public par des récits conspirationnistes et de désinformation tant au sein de l’UE que dans son voisinage au sens large. Cette mise à jour apporte des éléments supplémentaires qui ne prétendent ni couvrir l’ensemble de l’espace médiatique ni être exhaustifs. Ils servent principalement d’illustration et d’exemples des différentes activités qui peuvent être observées.
Au-delà de ces campagnes ciblées et parfois soutenues par un État, les théories conspirationnistes et les contenus erronés ou trompeurs sur la COVID-19 / le coronavirus continuent de proliférer largement sur les plateformes de médias sociaux. Dans une analyse couvrant cinq langues européennes et l’arabe, l’ONG Avaaz a constaté que «des millions d’utilisateurs de Facebook restent exposés à grande échelle à des informations erronées et préjudiciables à propos du coronavirus». Avaaz a analysé un échantillon de contenus et déclare avoir constaté qu’ils étaient partagés plus de 1,7 million de fois sur Facebook et consultés environ 117 millions de fois[i].
La task force Stratcom du SEAE a mené une étude supplémentaire dans neuf autres langues de l’UE et hors UE, dont l’allemand, le tchèque, le polonais, le russe et l’ukrainien. Dans toutes les langues, les contenus faux ou fortement trompeurs continuent de se propager, même lorsqu’ils ont été signalés par les vérificateurs de faits locaux. Bien qu’il soit impossible de mesurer leur portée globale, on peut affirmer sans risque que ces contenus atteignent chacun des millions d’utilisateurs dans les zones linguistiques étudiées.

Cette information, publiée en ukrainien sur une page publique, prétend que le lait aide à lutter contre la COVID-19.

Cette chaîne YouTube en allemand, financée par le Kremlin, suggère que «la pandémie n’a jamais eu lieu» (près de 900 000 vues et 5 000 commentaires).
On dispose également d’un nombre croissant de preuves de l’impact de la désinformation et des récits liés à la COVID-19 / au coronavirus sur la santé publique et la communication officielle de crise :
- Un tiers des personnes interrogées dans six pays (Allemagne, Argentine, Corée du Sud, Espagne, États-Unis et Royaume-Uni) déclarent avoir lu «beaucoup» d’informations fausses ou trompeuses sur la COVID-19 dans les médias sociaux et les applications de messagerie au cours de la dernière semaine (jusqu’au 15 avril)[ii].
- Un tiers des citoyens britanniques pensent que la vodka peut être utilisée comme désinfectant pour les mains.
- Selon un rapport de la BBC, dans une province iranienne, la COVID-19 a fait moins de morts que l’alcool industriel ingéré suite à de fausses déclarations selon lesquelles il pouvait protéger contre le virus[iii].
- Les théories conspirationnistes portant sur les antennes télécommunication 5G, qui auraient facilité la propagation de la COVID-19, ont conduit à des actes de vandalisme et à des agressions contre le personnel des services de télécommunications dans plusieurs endroits aux Pays-Bas, en Belgique et au Royaume-Uni[iv].
- Un nombre croissant de personnes se rassemblent régulièrement en toute illégalité pour protester contre le «terrorisme de la vaccination», elles soutiennent que la COVID-19 n’est «rien d’autre qu’une simple grippe»[v].
- L’institut de sondage italien SWG constate que la part des sondés déclarant qu’ils considèrent la Chine comme amie de l’Italie est passée de 10 % en janvier à 52 % en mars, tandis que la part des sondés indiquant avoir confiance dans les institutions européennes a chuté de 42 % en septembre à 27 % en mars[vi].
Récits et activités ciblant l’UE ou liés à l’UE
Dans les rapports précédents, nous avons énuméré un certain nombre de récits et d’activités parmi les plus récurrents. Nombre de ces activités se poursuivent. Par exemple, sur la période couverte par le présent rapport, il a été confirmé que des sources pro-Kremlin et les médias contrôlés par l’État russe continuent à mener une campagne coordonnée dans le double but de discréditer l’UE et sa réponse à la crise, et de semer la confusion sur les origines et les implications sanitaires de la COVID-19 / du coronavirus. La désinformation soutenue par le Kremlin sur la COVID-19 / le coronavirus continue de proliférer largement sur les médias sociaux, même lorsqu’elle contredit les directives officielles de l’OMS ou contrevient aux politiques de contenu des entreprises propriétaires de ces médias sociaux. Il existe également des preuves d’une action coordonnée des sources officielles chinoises pour se dédouaner de toute responsabilité dans la propagation de la pandémie [vii] et pour promouvoir les annonces d’aide bilatérale et sa mise en œuvre, au point que les sondages dans certains pays montrent que la Chine est perçue comme plus utile que l’UE dans la lutte contre cette pandémie. [viii].
Des informations complémentaires sont disponibles sur le site www.euvsdisinfo.eu.
Dimension interne
Les sources contrôlées par un État qui ciblent le public au sein de l’Union européenne, des pays du partenariat oriental, des Balkans occidentaux et de l’ Afrique du Nord et du Moyen-Orient continuent de dépeindre l’UE et ses partenaires comme inefficaces, divisés et cyniques dans leur réponse à la COVID-19. La pandémie en tant que telle est présentée à plusieurs reprises comme le résultat de la faiblesse des systèmes démocratiques, incapables de faire face efficacement à la crise. Une campagne de désinformation menée conjointement par la Russie et le régime syrien vise à discréditer le dernier rap port de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), tout en blâmant les États-Unis pour le manque d’assistance médicale apportée aux réfugiés syriens des camps d’Al Rukban et d’Al Hol et en leur reprochant de détourner l’aide des Nations unies aux réfugiés pour soutenir des groupes terroristes.
Dans le même temps, nous constatons que certains acteurs, y compris des sources chinoises, poursuivent et coordonnent leurs efforts pour se dédouaner de toute responsabilité dans la propagation de la pandémie et pour mettre en avant l’aide bilatérale. De nombreux rapports confirment un niveau élevé de coordination entre différents éléments du système chinois à des fins de diffusion et d’amplification de ce type de messages (en plusieurs langues et via différents canaux de communication) en recourant à différentes tactiques tant ouvertes que déguisées.[ix].
De nombreux acteurs, y compris des organes de désinformation pro-Kremlin, continuent à partager avec des publics internationaux des informations sanitaires trompeuses et mensongères sur la COVID-19 / le coronavirus. Une grande partie de cette désinformation est en contradiction directe avec les orientations officielles de l’OMS, ainsi qu’avec les politiques de contenu des plateformes en ligne.
Nous observons des efforts similaires d’exploitation de la crise COVID-19 / coronavirus dans l’objectif de faire passer de faux messages sur les vaccins. Il s’agit souvent de théories de conspiration extrêmes qui prétendent que les gouvernements imposeront une vaccination de masse forcée et l’implantation de nanopuces pour établir un contrôle social, ou que les vaccins sont soit inefficaces soit véritablement nocifs. Bill Gates s’avère être une cible fréquente de ce type de récits. En voici quelques exemples :
- On peut soigner la COVID-19 par la médecine traditionnelle plutôt qu’avec des vaccins, mais les sources internet contrôlées par les entreprises soutiennent le contraire (NewsFront)
- Après la pandémie, la population survivante pourrait être contrainte à suivre un programme de vaccination mondial à base de toxines et de protéines modifiant l’ADN (Journal of New Eastern Outlook)
- La pandémie de coronavirus pourrait servir à établir un contrôle social absolu par le biais d’un vaccin (Strategic Culture Foundation)
- Les vaccins ne soignent pas; leur production est au programme du Nouvel ordre mondial (South Front)
- La COVID-19 permettra un contrôle total de la population par le biais d’une vaccination forcée et de puces (NewsFront Spanish)
Une catégorie de désinformation particulièrement inquiétante et malveillante promeut des allégations portant sur de faux remèdes ou traitements contre la COVID-19 / le coronavirus. Exemples :
- Se laver régulièrement les mains ne vous protège pas de la COVID-19 (Sputnik Germany, RT German)
- Cela ne coûte rien d’utiliser l’hydroxychloroquine pour soigner la COVID-19 sans test préalable (RT English)
- Le zinc aiderait à tuer le coronavirus (RT Arabic)
- Les médias occidentaux de mèche avec les «Big Pharma» négligent les traitements réussis de la COVID-19 à base de vitamine C en Chine (South Front)
Une de ces catégories de désinformations liées à la santé tente de minimiser la pandémie et de suggérer qu’il s’agit d’une duperie, en disant, par exemple, que le taux de mortalité est exagéré. Ces messages visent souvent à saper la confiance dans les institutions et les gouvernements en prétendant qu’ils se servent de la pandémie comme excuse pour exercer un pouvoir et un contrôle excessifs sur leurs citoyens. Exemples :
- La pandémie de coronavirus est exagérée dans le but de transformer les pays en dictatures fascistes de l’hygiène (Sputnik Germany)
- Les gouvernements truquent les chiffres pour exagérer le bilan des morts du coronavirus (One World)
- La crise de la COVID-19 est fabriquée par les médias (South Front)
- Il est trop tôt pour dire si d’autres personnes mourront à cause de la COVID-19 (RT English)
- Le taux de mortalité du coronavirus est négligeable (Sputnik Czech)
Sélection d’autres activités méritant d’être signalées
Les fonctionnaires et les médias au service de l’État chinois tentent de prévenir toute mention de Wuhan comme origine de la COVID-19[x], notamment par le biais de nouvelles restrictions nationales sur la publication des recherches liées à la maladie en Chine[xi]. Sur les réseaux sociaux, certains comptes contrôlés par l’Etat continuent de propager la théorie selon laquelle l’épidémie de Wuhan serait liée à des représentants de l’armée américaine, ce qui indique qu’une volonté de semer la confusion sur l’origine du virus[xii] perdure.
Il existe également des preuves significatives d’opérations chinoises menées clandestinement sur les médias sociaux. ProPublica a mis à jour un réseau de comptes Twitter impliqué dans une campagne d’influence coordonnée ayant des liens avec le gouvernement chinois[xiii]. Le Daily Telegraph a découvert que les médias d’État chinois contournaient les politiques des plateformes de médias sociaux relatives à la publicité pour diffuser des messages vantant la gestion par la Chine de la crise de la COVID-19 / du coronavirus et attaquant les États-Unis[xiv]. Toujours selon le Daily Telegraph, «ces publicités font partie d’une campagne de propagande mondiale coordonnée sur Facebook, Instagram, Twitter et les médias traditionnels, qui tente de dépeindre la Chine comme un chef de file au niveau mondial dans la lutte contre la COVID-19 et entend étouffer les accusations selon lesquelles elle aurait aggravé la crise en essayant de couvrir sa propre épidémie».
Formiche a mis en évidence une opération coordonnée de bots Twitter en Italie qui amplifient les messages de l’ambassade de Chine et attaque l’UE [xv]. En mars, en deux semaines, ces bots ont publié des milliers de tweets contenant des hashtags prochinois.
L’ASPI (Australian Strategic Policy Institute) a relevé dans son analyse de la désinformation sur la COVID-19 / le coronavirus[xvi] que «des éléments des messages diplomatiques et des médias d’État chinois continuent de recourir à des tactiques de désinformation traditionnellement utilisées dans les campagnes de désinformation coordonnées et persistantes qui orchestrées par l’État russe». Les efforts mis en œuvre par l’État chinois pour phagocyter le domaine de l’information reposent sur des campagnes coordonnées, mais pas nécessairement inauthentiques, grâce à des trolls patriotiques prochinois».
Au Proche-Orient, le régime syrien tire parti de la crise provoquée par la COVID-19 / le coronavirus pour renforcer son discours de désinformation vis-à-vis de l’UE, prétendant que celle-ci maintient une «guerre économique» contre la Syrie et le peuple syrien en promouvant des sanctions qui paralysent le secteur de la santé.
Les faux traitements continuent également de fleurir sur le terrain fertile de la désinformation, à titre d’illustration, les autorités iraniennes auraient rendu public un nouveau dispositif capable de détecter la COVID-19 / le coronavirus, allégation largement décriée et décrite comme une réutilisation, inspirée d’un cas égyptien de 2014 : l’histoire dite de « l’appareil de guérison totale » (complete cure device).
Par ailleurs, dans certains pays, des journalistes et des militants ont été arrêtés, tandis que l’accès à certains médias indépendants en ligne était bloqué pour cause de «financements étrangers»; dans d’autres, des licences ont été révoquées ou des journalistes expulsés.
[i] https://secure.avaaz.org/campaign/en/facebook_coronavirus_misinformation/
[ii] https://www.politico.eu/wp-content/uploads/2020/04/Navigating-the-Coronavirus-infodemic.pdf?utm_source=POLITICO.EU&utm_campaign=66ec24c50f-EMAIL_CAMPAIGN_2020_04_15_05_01&utm_medium=email&utm_term=0_10959edeb5-66ec24c50f-190134993
[iii] https://www.bbc.co.uk/news/live/world-51984399/page/3
[iv] https://www.ft.com/content/1eeedb71-d9dc-4b13-9b45-fcb7898ae9e1?desktop=true&segmentId=7c8f09b9-9b61-4fbb-9430-9208a9e233c8#myft:notification:daily-email:content
[v] https://amp.tagesspiegel.de/berlin/kritik-an-corona-massnahmen-das-steckt-hinter-der-querfrontdemonstration-in-berlin/25752958.html?__twitter_impression=true
[vi] https://formiche.net/2020/04/cina-usa-sondaggio-swg-casini-ventura/
[vii] https://www.recordedfuture.com/covid-19-chinese-media-influence/
[viii] https://dennikn.sk/1830536/fakty-vs-dojmy-ako-slovensku-realne-pomahaju-rusko-cina-a-europska-unia/?ref=mpm
[ix] https://freedomhouse.org/article/beijings-coronavirus-propaganda-has-both-foreign-and-domestic-targets
[x] https://twitter.com/globaltimesnews/status/1241559268190343168?lang=en;
[xi] https://www.theguardian.com/world/2020/apr/11/china-clamping-down-on-coronavirus-research-deleted-pages-suggest; https://edition.cnn.com/2020/04/12/asia/china-coronavirus-research-restrictions-intl-hnk/index.html
[xiii] https://www.propublica.org/article/how-china-built-a-twitter-propaganda-machine-then-let-it-loose-on-coronavirus
[xiv] https://www.telegraph.co.uk/technology/2020/04/05/china-floods-facebook-instagram-undeclared-coronavirus-propaganda/
[xv] https://formiche.net/2020/03/china-unleashed-twitter-bots-covid19-propaganda-italy/
[xvi] https://www.aspi.org.au/report/covid-19-disinformation