Read this article in EN IT ES FR DE

Que s’est-il passé en 2020?

décembre 28, 2020

2020 est enfin presque finie.

Pour de nombreuses personnes, cette année a été difficile; elle a non seulement été marquée par une pandémie mondiale, mais aussi par une infodémie: un flux sans précédent d’informations fausses ou inexactes sur le coronavirus. Malheureusement, les médias pro-Kremlin ont activement contribué à alimenter cette infodémie en plus de trouver de nombreuses autres occasions de propager la désinformation, d’amplifier les théories du complot et de semer la confusion, la crainte et la méfiance.

Les manifestations en faveur d’une justice raciale et les élections présidentielles américaines, la lutte courageuse des Biélorusses pour leurs droits civiques, l’empoisonnement de l’opposant politique russe Alexeï Navalny – voici quelques-uns des principaux événements de cette année qui ont attiré l’attention et alimenté la désinformation des médias pro-Kremlin.

Cette année, EUvsDisinfo a ajouté plus de 3 000 exemples de désinformation pro-Kremlin à notre base de données publique. Voici un aperçu de ce que nous avons trouvé.

Le cycle de désinformation sur la COVID-19: de la promotion des théories du complot…

Le tout premier exemple de désinformation pro-Kremlin relative à la COVID-19 a été enregistré dans la base de données EUvsDisinfo le 22 janvier: Sputnik Biélorussie avançait que le coronavirus avait probablement été développé dans des laboratoires biologiques de l’OTAN. Ce message laissait présager la suite: les médias pro-Kremlin ont suivi une stratégie bien établie d’utilisation de la désinformation pour amplifier les divisions et exacerber la crise sanitaire.

En l’espace de quelques mois, ils ont inondé l’espace médiatique avec des allégations sans fondement selon lesquelles le coronavirus était une arme de destruction massive américaine dirigée contre la Chine et conçue pour cibler les Asiatiques au profit du Big Pharma et des entreprises américaines. Des messages apocalyptiques sur le déclin de l’UE ont circulé, accompagnés d’autres messages trompeurs liés à la santé.

Entre-temps, des théories du complot relatives aux «laboratoires biologiques secrets» — essentiellement réservées aux publics de Géorgie les années précédentes — ont été remises au goût du jour. Les médias contrôlés par les États russe et chinois ont fait circuler des allégations sans fondement selon lesquelles les États-Unis exploitaient un réseau de 200 laboratoires biologiques clandestins impliqués dans le développement d’armes biologiques, donnant ainsi à un cheval de bataille de la désinformation pro-Kremlin une importance nouvelle au plan international. Alors que l’infodémie a présenté la Chine comme un acteur émergent de la désinformation, l’Institut australien de stratégie politique a averti que «l’appareil de propagande du PCC (Parti communiste chinois) a appris des stratégies et des effets des campagnes de désinformation russes».

Même en Russie, les chaînes de télévision et de radio contrôlées par l’État ont cherché à semer le doute sur le coronavirus, en particulier au début de la pandémie. Des chaînes fédérales ont notamment avancé que le coronavirus était conçu par l’homme et adapté à l’ADN chinois. Les effets de la désinformation des citoyens russes sont rapidement devenus évidents: un sondage national mené entre mars et mai 2020 a révélé que près d’un quart des Russes (23,3 %) considéraient la pandémie de COVID-19 comme une fiction.

 

…à la promotion du vaccin Spoutnik V

Alors que le taux d’infections à la COVID-19 en Europe diminuait, il en allait de même du volume de messages de désinformation pro-Kremlin consacrés au sujet. Alors que les efforts internationaux visant à créer des vaccins efficaces s’intensifiaient, il n’était plus très bien vu de répéter des discours de désinformation anti-vaccination sur les chaînes d’État russes. Le réalisateur oscarisé Nikita Mikhalkov l’a appris à ses dépens.

Pour illustrer ce changement, à l’automne, les médias pro-Kremlin ont adopté une nouvelle cible: promouvoir le vaccin russe Spoutnik V aux publics mondiaux. En Amérique latine, par exemple, une large couverture du taux mondial croissant d’infections à la COVID-19 a été suivie de messages constants relatifs aux réussites du vaccin Spoutnik V et aux prétendus échecs des producteurs occidentaux de vaccins. Toutes les questions portant sur la sécurité du vaccin russe ont été écartées et qualifiées de préjugés anti-russes, alors que l’Occident a été accusé de tenter de saboter le vaccin russe et d’assurer des bénéfices à ses entreprises pharmaceutiques.

Suivant le mouvement de promotion du vaccin Spoutnik V, certains médias ont dû revenir sur leurs propos. Prenons, par exemple, l’édition espagnole de «News Front» (un média basé en Crimée dont les comptes ont été fermés par Facebook cette année). En mars, «News Front» évoquait un scénario catastrophe et avançait sans aucun fondement que les vaccins contre la COVID-19 s’accompagneraient de «nano-puces», entraîneraient de graves problèmes de santé ainsi que la domination de l’«État profond obscur». Et déjà en septembre il avait changé de ton, fustigeant les «médias occidentaux» de ne pas s’être unis pour soutenir «une injection susceptible de sauver des vies» (sous-entendant, évidemment, le Spoutnik V).

Plus de 700 exemples d’allégations de désinformation pro-Kremlin relatives au coronavirus et à la vaccination ont été ajoutés à la base de données EUvsDisinfo cette année.

Au-delà de la pandémie: «Goodbye, America»

Alors que les manifestations en faveur d’une justice raciale se multipliaient aux États-Unis, les médias contrôlés par l’État russe ne pouvaient que difficilement contenir leur jubilation. Des images de manifestants affrontant la police ont dominé les émissions politiques sur les chaînes télévisées fédérales, accompagnées d’invitations à «préparer le pop-corn» alors que «les États-Unis récoltent ce qu’ils ont semé». La première chaîne télévisée fédérale (Pervy Kanal) a jugé approprié de montrer une séquence vidéo de manifestants blessés, de véhicules incendiés et de boutiques pillées au son de la bande originale de «Goodbye, America» avant les actualités du soir.

Les médias de désinformation ont utilisé les manifestations en faveur d’une justice raciale pour tenter de convaincre les publics russes que l’Amérique s’écroulait, en même temps que sa démocratie libérale – toujours considérée comme une nuisance aux yeux des médias pro-Kremlin. À cette fin, ils ont adapté plusieurs discours majeurs de désinformation aux réalités américaines et avancé, par exemple, que le Parti démocrate aux États-Unis se servait de leurs «manuels sur la révolution de couleur» pour orchestrer les émeutes et qu’il était financé par George Soros et des mondialistes cherchant à influencer les résultats des élections présidentielles américaines.

Si ce discours vous semble familier, c’est normal. Depuis des années, la «révolution de couleur financée par Soros» est la première réaction des médias pro-Kremlin aux manifestations populaires organisées dans le monde.

Dans l’Amérique de 2020, toutefois, ces messages de désinformation doivent être inscrits dans le contexte des élections présidentielles américaines. Notre analyse a montré qu’à l’approche de ces élections, des médias pro-Kremlin et leurs filiales ont fait circuler des préjugés clairs et convaincants à l’encontre de Joe Biden. Dès que les résultats longtemps attendus des élections ont été annoncés, différents médias de désinformation pro-Kremlin ont amplifié diverses théories du complot afin de jeter le doute sur la victoire de Joe Biden, et ont fait circuler des messages sur la prochaine guerre civile afin de persuader les publics russes une fois encore que la démocratie mène au chaos et ne devrait donc pas être tentée dans le pays.

Plus de 140 exemples d’allégations de désinformation pro-Kremlin relatives aux manifestations en faveur d’une justice raciale et aux élections présidentielles ont été ajoutés à la base de données EUvsDisinfo cette année.

L’alignement de la désinformation en Biélorussie

Cette année, dans une extraordinaire démonstration d’unité, des milliers de Biélorusses sont descendus dans les rues pour manifester contre les résultats des élections présidentielles truquées. Les manifestations ont débuté en août et se poursuivent à ce jour.

Les médias pro-Kremlin, bien qu’à un moment partagés sur l’homme fort assiégé du pays, Alexandre Loukachenko, et ses politiques, ont volé à son secours. Au début des manifestations, des journalistes travaillant pour des télévisions d’État biélorusses ont été remplacés par des «spécialistes» des médias venus de Russie, et les discours de désinformation entre les médias contrôlés par les États biélorusse et russe ont été alignés. Au lieu de reconnaître qu’un dictateur violent s’attache désespérément au pouvoir, les médias de désinformation ont trouvé d’innombrables ennemis extérieurs. La Pologne, la Lituanie, l’OTAN, les États-Unis et l’UE, l’OSCE et les féministes européens ont tous été accusés de fomenter une «révolution de couleur» en Biélorussie.

Au milieu des violences policières perpétrées contre des manifestants pacifiques, la désinformation émanant des canaux contrôlés par l’État et étayée par les «spécialistes» des médias russes semble n’avoir en réalité eu que peu d’effet. Néanmoins, les médias contrôlés par l’État biélorusse ont adopté les tactiques des médias pro-Kremlin, malmenant des diplomates étrangers et inventant de nouveaux termes pour dénigrer les manifestants et même le drapeau historique.

Le peuple biélorusse continue à afficher une résilience et une force remarquables dans la lutte pour ses droits civils. Juste avant Noël, l’opposition démocratique en Biélorussie s’est vu décerner le Prix Sakharov pour la liberté de pensée – l’hommage le plus important rendu par l’Union européenne en matière de droits de l’homme.

Plus de 320 exemples d’allégations de désinformation pro-Kremlin relatives à la Biélorussie ont été ajoutés à la base de données EUvsDisinfo cette année.

La tentative d’assassinat contre Alexeï Navalny

Moqueries, démenti, détournement d’attention – la réaction des médias pro-Kremlin à une tentative d’assassinat ratée contre le leader de l’opposition russe, Alexeï Navalny, à l’aide d’un agent neurotoxique militaire de type «Novitchok» a été aussi cynique que prévisible.

Dans une étonnante impression de déjà vu, les médias pro-Kremlin ont tenté de brouiller les pistes comme ils l’ont fait en 2018 avec l’empoisonnement de l’ancien espion russe Sergueï Skripal. Les similarités entre les messages de désinformation propagés durant ces deux incidents ne faisaient aucun doute: dans les deux cas, les empoisonnements ont été décrits comme des provocations extérieures orchestrées par l’Occident, ou plus spécifiquement par la Grande-Bretagne, pour imposer des sanctions et créer une propagande anti-russe. Les médias pro-Kremlin ont également présenté ces empoisonnements comme une illustration de la lutte politique interne en Allemagne et au Royaume-Uni et, dans les meilleures traditions de la propagande, ont tout démenti.

L’«hahagande» – la propagande déguisée en humour et en dérision – a également joué un grand rôle. En parallèle sont parues de macabres lignes de défense proposées par les spécialistes incontournables du Kremlin, avançant que si les autorités russes avaient voulu tuer Navalny, elles auraient trouvé des manières plus efficaces de le faire.

Et pourtant, pour toutes ces moqueries, ce ne sont pas les médias pro-Kremlin qui riront les derniers. Une enquête conjointe menée par le site web de journalisme d’investigation Bellingcat, le média russe indépendant The Insider en coopération avec Der Spiegel et CNN, a révélé un trésor de données de télécommunications et de déplacements impliquant une équipe d’experts en armes chimiques du Service de sécurité fédéral russe (FSB) dans l’empoisonnement d’Alexeï Navalny.

Cette enquête met en évidence des détails relatifs à la surveillance et à différentes tentatives d’assassinat ciblant Navalny, ainsi que les visages et les noms des officiers du FSB. Dans un épisode assez révélateur, elle montre également comment une séquence de vidéosurveillance secrète de l’équipe de Navalny a fini par être diffusée sur une chaîne télévisée fédérale russe, laissant suggérer une coopération étroite entre les services de sécurité et les médias contrôlés par l’État russe.

Cette enquête montre également que la vérité – peu importe la manière dont elle est dissimulée – finit par éclater au grand jour. Et c’est réconfortant alors que 2020 touche à sa fin.

 

Plus de 170 exemples d’allégations de désinformation pro-Kremlin relatives à Alexeï Navalny ont été ajoutés à la base de données EUvsDisinfo cette année

Prenez soin de vous!

En savoir plus:

https://euvsdisinfo.eu/fr/moins-se-poser-de-questions-des-journalistes-de-rt-remplacent-leurs-collegues-bielorusses-en-greve/

https://euvsdisinfo.eu/fr/empoisonnement-dalexei-navalny-les-medias-de-desinformation-pro-kremlin-figurent-en-bonne-place-sur-les-medias-sociaux-allemands/

https://euvsdisinfo.eu/fr/six-ans-de-mensonges-autour-du-vol-mh17-le-kremlin-perd-a-son-propre-jeu/

https://euvsdisinfo.eu/fr/le-complot-des-laboratoires-secrets-des-discours-convergents/

https://euvsdisinfo.eu/fr/reflechissez-avant-de-partager/

https://euvsdisinfo.eu/fr/contrer-les-campagnes-de-desinformation-menees-actuellement-par-la-russie-lhistoire-deuvsdisinfo/

https://euvsdisinfo.eu/the-information-boomerang-returns/

https://euvsdisinfo.eu/the-community-of-collapse/

https://euvsdisinfo.eu/fr/les-medias-pro-kremlin-sur-les-elections-americaines-amplifier-la-desinformation-puis-influencer-la-perception-du-vote/

https://euvsdisinfo.eu/fr/les-medias-pro-kremlin-sur-les-elections-americaines-trump-bon-biden-mauvais/

https://euvsdisinfo.eu/figure-of-the-week-117-millions/